Cicatrices

Depuis toute petite elle a pris l’habitude de se présenter au miroir au moins une fois par jour, nue comme un ver, pour un examen détaillé des empreintes de la vie sur son corps. Elle devait avoir 4 ans quand elle a commencé, ou peut-être 5.

C’est qu’elle avait tellement entendu l’histoire de la cicatrice sur le nombril de sa maman qu’elle attendait avec impatience le jour ou apparaitrait sur son corps ses blessures d’amour ou de guerre, elle ne savait pas trop en fait. Sa maman, c’est elle qui lui avait permis d’avoir cette belle cicatrice. Elle était assise sur le buffet, elle devait avoir 2 ans, à peine plus ou à peine moins, elle s’était penchée en avant et l’avait mordue, d’un grand coup de ses petites quenottes toute neuves. Pourquoi sa maman était elle en petite tenue dans la cuisine, l’histoire ne le dit pas. Mais ce que l’on sait, c’est que la morsure de ses premières dents avaient laissé une trace bien nette. Elle n’avait aucun souvenir personnel de ce qui s’était passé, c’est évident, mais elle pouvait en parler comme si c’était le cas. Elle n’en éprouvait heureusement aucune culpabilité, au moins apparente, mais on peut se demander si ce n’est pas pour racheter cette morsure qu’elle a imprimé sa première blessure sur son propre corps.

Elle avait 5 ans, c’était un dimanche midi. Sa maman, débordée par les quatre enfants qui se chamaillaient, son mari dormant sur le canapé du salon, sa maman donc courait dans tous les sens pour préparer le déjeuner. « Maman, maman, je vais t’aider » dit la petite fille haute comme trois pommes, « je sais faire. S’il te plait, laisse moi faire ! ».

Et voilà comment je suis arrivée, moi, la toute première cicatrice. Je m’appelle Orange, elle m’a appelée Orange, solennellement, Orange comme les carottes qu’elle avait décidé de râper toute seule avec le robot électrique. C’est fascinant ces carottes. Tu les mets en haut du robot, tu appuies dessus et elles ressortent toute râpées en bas. Mais voilà, si tu en mets trop, ça bourre. Et quand ça bourre, ça ne râpe plus. Alors qu’a-t-elle fait ma tête de linotte ? Elle a ordonné à sa main juste assez petite de rentrer dans le trou qui rejette les carottes pour aller chercher les brins récalcitrants. Voilà comment son majeur a bien failli finir râpé avec les carottes croquantes. La douleur a été tellement immédiate et fulgurante qu’elle a retiré instantanément sa menotte. C’est comme ça que je suis apparue, au bout de son majeur, juste à côté de l’ongle miraculeusement sauvé. Les carottes souillées de sang frais ont fini à la poubelle et maman furieuse de perdre encore du temps, a pris quelques minutes pour soigner la blessure avant de retourner en cuisine terminer ce qui ne ressemblerait plus du tout à un repas du dimanche mais à un sauve-qui-peut général… où sont les pâtes et la sauce tomate ??!!! Mais la première blessure était bien là, comme un trophée. Tous les matins devant son miroir elle m’a observée apparaitre. D’abord vilaine croute marron, un peu purulente, puis de plus en plus sèche jour après jour jusqu’à tomber laissant apparaitre une forme triangulaire, légèrement rosée et bombée qui devint en quelques semaines une petite boursouflure blanche associée à une histoire tout aussi croustillante que sanglante.

Une cicatrice lui a suffi pendant longtemps, c’est étrange. Elle était tellement casse-cou, elle voulait tellement prouver qu’elle réaliserait de grandes choses, oui, c’est étrange que nous ne nous soyons pas multipliées plus rapidement. La deuxième cicatrice s’appelle « Verte », Verte comme la campagne dans laquelle elle est apparue. Nous avons tout de suite été copine elle et moi. Vas-y Verte, raconte.

« Moi j’ai été conçue alors que Mademoiselle voulait escalader un mur pour prendre un raccourci et rejoindre plus rapidement le fermier. Était-ce le fermier ou son fils, je ne sais plus bien, mais pourquoi tant de précipitation, là encore, l’histoire ne le dit pas ! Elle a donc escaladé ce mur, une pierre a déchaussé, elle a glissé et est lourdement retombée sur son genou droit, l’enfonçant dans une roue métallique bien rouillée. Et bam, une entaille jusqu’à l’os. J’en ai des nausées quand j’y pense. Elle a presque tourné de l’œil la petite, elle avait 12 ans. Sa mère, excédée par ses idées saugrenues, son énergie et son imagination qui ne connaissaient aucune limite (il faut savoir que s’il n’y avait pas de cicatrices apparentes, quelques fractures avaient dû laisser des traces à l’intérieur de son corps), sa mère donc l’a embarquée ni une ni deux chez le médecin de la petite ville à 15 km de là. 3 points de suture sans anesthésie plus une piqûre anti tétanos. Et ses vacances gâchées, interdite de baignade, de jeu dans les charrettes de foin, impossible de plier la jambe et encore moins de courir dans les champs. Et me voilà installée, après de nombreuses crises de larmes de rage. Merci Orange, je passe la parole à Or si tu veux bien ».

« Je suis Or et je suis la cicatrice en creux de ses deux oreilles, la cicatrice qu’elle a tant désirée pour se sentir fille, comme ses copines. Or, parce que si elle ose mettre de l’argent à ma place je redeviens purulente, mal cicatrisée. Même quarante ans plus tard. Avec moi elle se rappelle qu’elle est allergique aux métaux. Je suis son baromètre de qualité. Or, parce que moi seul peut briller à ses oreilles, mais uniquement Or pur. Méfiez vous orpailleurs de peu de vertu, car je peux vous détecter et m’enflammer. A toi, Blanc. »

« Merci. Moi c’est Blanc. Blanc comme les boutons d’acné infectés. Ma place est à mi-chemin entre la lèvre inférieure et la pointe du menton. J’ai pris la forme d’un bouton car j’ai pris sa place. Mais, belle revanche sur les années ingrates de l’adolescence boutonneuse je suis aujourd’hui grain de beauté. Après être revenue sous forme de comédon infectieux semaines après semaines, mois après mois, j’ai renoncé à défigurer et me voilà grain de beauté, clin d’œil séducteur, attirant le regard vers la bouche qui me couronne. Je suis là depuis ses 17 ans. »

« Moi je suis Rose, je suis arrivée bien plus tard. Rose parce que je l’ai faite Maman. Trois fois. Je suis un mélange de vous toutes. Orange parce qu’il a fallu la découper pour que j’apparaisse, découper son bas-ventre pour faire sortir chacun de ses enfants. Or, parce que le premier obstétricien a refermé l’entaille avec des agrafes. Et non, cher Or, elle n’était pas faite de ton métal précieux et elle s’est infectée. Clin d’œil à Blanc. Il a fallu soigner pendant des jours et des jours avant que j’apparaisse, propre et nette, sur 10 cm. Trois fois ouverte, trois fois fermée. Je suis Rose, Rose comme tout l’amour qu’elle porte à ses enfants. Rose comme la douceur qu’apporte le temps qui passe sur les douleurs et s’associent à Verte, Verte comme la nature qui la rappelle à la vie au-dessus de la tombe de son fils. »

« Quant à moi, je suis Couleur du Temps. Elle a gratté, gratté pour comprendre, comprendre sa vie, en faire quelque chose, et ses doigts se sont infectés, une autre histoire avec Blanc. Là encore il a fallu soigner, mais trop tard, cette fois c’est une autre peau qui a trinqué. Je suis une cicatrice en cours de constitution, au bout de 3 de ses doigts, je suis ongles en reconstitution, ongles déformés ou ongles indemnes ? Pour l’instant je ne sais pas, je sais que je suis Couleur du Temps qui guérit les blessures car en grattant sans cesse, elle grandit et vous chérit chaque jour davantage, vous chacune de ses blessures, chacune de ses richesses. »

Atelier d’écriture Kikka Auteure. Thème : La peau est mémoire

2 commentaires sur “Cicatrices

  1. Un plaisir à lire, Béné.
    Mais il faut faire attentions aux fautes et aux typos, car elles cassent le rythme de la lecture et l’attention du lecteur… il y en a plusieurs.
    Bravo pour le style!

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    1. Merci. Je viens de relire, il y avait effectivement vraiment beaucoup de fautes ! Et il en reste peut-être encore 😔. Je vais faire moins confiance au correcteur de word et relire davantage !

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