L’écriture comme…

Je me revois petit fille dans celle classe de maternelle perdue entre les pavillons des plus ambitieux et les tours des moins privilégiés d’une vilaine banlieue parisienne. Cette maitresse qui m’adorait et me protégeait. Je voulais comprendre se qui se tramait à la maison. Mon incapacité à le faire venait, j’en étais persuadée, de mon ignorance de la lecture. Mon père si souvent absent. Ces chuchotements si bruyants quand il apparaissait en pleine nuit. Ma mère toujours affairée et effarée. Urgence. Lire et écrire pour stopper le massacre que je pressentais sans pouvoir ni ne le confirmer ni l’exprimer.

L’écriture comme premier soin, nécessité, révélation, survie.

Je me revois, juste après le massacre. En cours préparatoire dans l’école primaire pour fille d’une petite ville tranquille de province arrosée par l’océan ou les hortensias égayaient les jardins bourgeois. Qu’elle était méchante cette maitresse qui n’avait de cesse de me rabrouer. Non, les enfants ne devraient pas savoir lire quelques semaines après leur arrivée. A quoi servait-elle sinon. De vexation en vexation, je vais apprendre qu’il m’en reste tant et tant à apprendre.

L’écriture comme humiliation, punition, dévalorisation.

Je la revois assise dans ce fauteuil. Ma sœur. « Viens mettre le couvert » « Oh c’est magnifique cet amour de la lecture. Elle n’entend même pas quand on l’appelle. Ça relève de l’exceptionnel une telle concentration. C’est une grande littéraire. Elle sera peut-être écrivain ? » « Allez, cesse de l’imiter et viens m’aider. Tu as besoin de bouger, tu ne tiens jamais en place ».

L’écriture comme compétition, différence, mauvaise pioche.

Je me revois plongée dans mes collages. Des livres entiers. Pour un ami qui s’en va. Pour un autre qui fête son anniversaire. Je découpe des images, déchire des photos, taille des tissus, martèle des capsules, tout ce qui est plat ou pas tout à fait est rassemblé agencé, fixé. Je colle. Je colle pour dire. Je n’ose pas écrire. Je voudrais dire mais l’écriture n’est pas à moi. Je suis faite pour les livres d’image. Alors regarde, regarde tout ce que je voudrais te dire.

L’écriture comme créativité, passage, art, transgression.

Je me revois écrire soigneusement cette lettre à ma grand-mère. Maman avait besoin de nous occuper. Ou de prouver qu’elle élevait bien ses enfants. Il faut écrire pour dire merci, vous avez été très gâtés. On ne touche pas aux cadeaux tant que ce n’est pas fait. J’avais 5 ans. « Chère Bonne-Maman, Comment vas-tu ? Moi je vais bien. Merci pour la poupée. Ça me fait très plaisir. Je vais bien m’amuser. Maman est en train de repasser. Papa n’est pas là. (ça je l’ai barré, maman m’a dit que ce n’était pas intéressant, mais je n’ai pas voulu recopier). Je t’embrasse très fort. Bénédicte »

L’écriture comme contrainte, devoir, politesse.

Je me revois avec mon oncle, l’ainé de la fratrie. Un déjeuner tous les deux à une époque où j’étais perdue. J’avais besoin de retrouver ma direction. Il me suggère d’écrire ce que je voudrais faire dans ma vie, ce qui me tient vraiment à cœur, cette année, d’ici 5 ans, d’ici 10 ans. De plier la feuille. De la ranger soigneusement. Puis de la reprendre une fois par an.
J’ai tout fait. En particulier écrire. Ecrire un livre professionnel. Car je suis une bonne technicienne, pas une romancière. La littérature, c’est ma sœur.

L’écriture comme un don, une exclusion, une compétition.

Je me revois perdue dans une vie que je voyais perdue. Je me revois ricanant de mon amie me lisant son journal intime (je me suis levée à 8h, j’ai pris mon petit-déjeuner, je suis allée à l’école et ainsi de suite jusqu’au coucher). Et si un journal pouvait me permettre de retrouver le chemin de ma joie ? Alors j’ai pris un cahier et chaque jour j’ai cherché l’enchantement de ma journée que je pourrais y consigner. Même tout petit. Comme un trésor. Pour me rappeler que la lumière se cache partout et surtout n’importe où.

L’écriture comme petit pas, intimité, lumière.

Je me revois à ce premier atelier d’écriture. J’avais mis 4 ans à en trouver le chemin. Je voulais tenir debout, me sentir forte et sereine. « Racontez un voyage au long cours ». Facile et anodin. Je me suis lancée, j’ai raconté… A mon tour de lire. Et bien sûr je me suis effondrée. On ne m’y reprendra plus. Que vont-ils penser ?

L’écriture comme émotion, béquille, authenticité.

Je me revois tous ces dimanches d’hiver. Une théière brûlante devant moi. Ma grande tasse préférée, celle offerte par mes filles. Mon cahier. De la musique ou pas de musique. Aller gratter, gratter le fond de mes viscères, replonger au fond de la souffrance. Chercher le mot juste. Pleurer, pleurer. Ne rien lâcher tant qu’il n’est pas enfin allongé sur mon cahier. Relire. Puis tout ranger. C’est fait.

L’écriture comme rituel, compagnie, délivrance.

Je me revois, bouillante de colère, tourner les phrases dans ma tête, construire une argumentation, affirmer mon désaccord, confesser mon découragement, avouer ma tristesse, hurler mon refus de la débâcle. Je me revois réciter tout doucement, en articulant chaque mot, cette diatribe libératrice. Je me revois m’asseoir, prendre mon cahier et mon stylo. Et me dégonfler. Qui suis-je pour dire ? Laisse tomber.

L’écriture comme prendre une place, prendre un risque, combattre.

Point de départ :
Comment l’écriture vient nous percuter ? Partir des sens, d’une petite scène que l’on revoit. Ecrire des fragments bref, la brusquerie de l’instant.

« L’écriture c’est le coeur qui éclate en silence. »
 « L’écriture consiste à sauver, depuis toujours, une reine en danger et à ne pas y parvenir. »
« Pas de joie plus grande que de trouver le mot juste : c’est comme venir au secours d’un ange qui bégaie »
« L’écriture est exigeante. Il en est de même pour l’amour, qui ne laisse pas en repos : beaucoup de choses sont à craindre pour ceux que l’on aime »

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