Le feu de la passion

L’eau de vie, c’est l’eau de feu. Ecrire par le feu, écrire un récit brûlant du feu qui parcourt un personnage. Se laisser embarquer par le feu de son expérience. Maintenir l’incendie et le transmettre au lecteur. L’embarquer dans la chaleur de son accomplissement… Impossible. Ma main reste en l’air, l’encre me mon stylo se fige. Pas une image positive pour nourrir le moindre personnage d’une passion enflammée.

Le feu me bloque…

Le feu dévore. Le feu épuise. Le feu laisse exsangue. Le feu consume. Le feu effraye. Il tue celui qui le porte et ceux qui l’approchent sont réduits en cendres qui s’éparpillent dans le vent. Le feu est exclusif ou incompris. Il demande qu’on l’admire ou qu’on s’y réchauffe mais ne partage pas. Deux feux dans une cheminée ? Fin fatal de l’un dévoré par l’autre. Le feu ne tolère pas le deux. Le feu n’embarque pas. Il est prétentieux. Le feu est adulé. Il met les foules en transe depuis son piédestal. Ou meurt à petit feu sans rien à grignoter. Le feu se tue lui-même. Il avale ce qui passe pour faire grandir sa flamme et briller davantage. Autour de lui, c’est terre brûlée. Malheur à celui qui s’approche.

Le feu est seul. Désespérément seul. Malgré lui. Il rayonne. Puis disparait. Le feu n’a qu’un temps. Ephémère. Il laisse son souvenir mais n’est jamais rejoint. C’est sa nature intrinsèque. Inaccessible pour ses disciples serviles. Incompris et persécuté par les autres. A coup de lances puissantes et de paroles blessantes… pauvre idiot, ne vois-tu pas que le seul qui brûle c’est toi ? Le feu c’est la condamnation à la solitude. A perpétuité.

Et pourtant. Rencontrer le feu est un miracle de la vie. Pour ceux qui en rêvent ou pour ceux qui le vivent ? L’illusion de la flamme du feu. Cette flamme qui fait briller celui qui la porte et qui soulève des torrents de jalousie chez ceux qui ne l’ont pas approché. Le feu. Un privilège ou une malédiction ? Les deux en entier.

Garder le feu en soi, chérir sa flamme, diffuser humblement, et parfois, dans le grand secret de l’intimité, laisser s’échapper une grande flambée. Rarement. Très rarement. Devant un, ou deux. Et puis oublier pour qu’ils oublient aussi. Chacun repartant sur son chemin, étonné de la grande lumière qui un instant a jailli. Par quel miracle ? D’où venait-elle ? Plus aucun ne s’en rappelle. C’était là, c’était beau, c’était grand, c’était chaud. C’était un miracle d’un instant. Nous étions trois. Nous sommes repartis. Nous sommes toujours trois. Trois non pas brûlés mais réchauffés. Réchauffés par ce qui leur apparaitra quelques temps plus loin comme une illusion. On ne sait plus trop quand c’était, on ne sait plus trop avec qui c’était. On finit par penser qu’on l’a rêvé. Et c’est bien ainsi. On dort apaisé, espérant être à nouveau visité par cet éclair irréel qui nous a réchauffé.

Etre feu incognito et cheminer tranquillement dans la foule. Découvrir dans un regard, une poignée de main, une main posée sur une épaule, un sourire songeur… toutes les flammes du monde. Rallumer l’humanité des petites lumières et briller de bientôt huit milliards de flammes.