Un incendie déclare sa flamme

Il couvait depuis longtemps. A de minuscules signaux, elle aurait pu sentir que tout n’était plus comme d’habitude, mais elle ne s’en préoccupait pas. Avant, elle courait, courait partout, sans rien refuser, sur tous les terrains, dans les milieux hostiles comme sur les sentiers de mousse moelleuse. Depuis quelques temps, elle avait ralenti, elle choisissait ses combats comme ses plaisirs. Elle avait ralenti son allure et allait à pas prudents, les corps à corps ardents devenaient effleurements, avec comme une peur sous la plante de ses pieds, une boule au fond de son estomac. Elle ne prenait plus la parole spontanément, elle ne partageait plus ce qui jaillissait dans sa tête. Quelque chose comme une censure ou une drogue puissante avait érigé un rempart de Vauban entre ses idées et son besoin puissant de dire. Elle ne se laissait plus aller non plus au plaisir simple d’un diner improvisé autour d’un œuf, trois croutes de fromages et de pommes bien sucrées sautées dans une noix de beurre. Non, demain elle serait trop fatiguée. Quelque chose ne fonctionnait plus. Mais elle ne le voyait pas. Parfois elle entendait « tiens ça fait longtemps ». « Qu’est-ce qui fait longtemps ?» se demandait elle. Le temps filait à grande vitesse. Il lui paraissait un instant, comme l’avion immobile au-dessus de l’océan uniforme.

Jusqu’au jour où la flamme a jailli de sa bouche, de ses yeux, de son corps. Stop ! Un stop comme le hurlement du loup acculé par les chasseurs. Un stop inondé de larmes brulantes. Un stop bouillant expulsé d’un corps en éruption se libérant d’une lave de souffrance, un corps consumé rejetant en furie une cendre enflammée spolié de toute nourriture susceptible de le tempérer. Elle était brûlée, détruite, anéantie. L’incendie insidieux l’avait ravagée. Plus qu’une flamme qui déclarait sa présence, c’est une victoire souveraine qu’il proclamait. « Je t’ai réduite en cendres. Essaie de fuir si tu crois que tu en est encore capable. Je t’ai dévorée. Tu n’es et ne sera jamais plus rien. »

Avez-vous vu, comme moi, la forêt des Landes renaitre après l’incendie qui l’a dévastée il y a maintenant deux étés ?