Comment une madeleine devint un pot-au-feu

Un merveilleux pot au feu, avec os à moelle, à déguster aux Galopins Boulogne

J’ai 10 ans, nous sommes au mois de février.

Comme tous les jours de la semaine, en silence, et souvent ne marchant pas au même pas, mes sœurs et moi faisons le chemin à pied qui nous conduit de l’école à chez notre grand-mère qui nous accueille pour le déjeuner. 20 mn de marche dans le froid glacial de l’hiver que je déteste. Tout le long du chemin je me demande ce qu’elle nous aura cuisiné aujourd’hui. Des fois j’adore, des fois je déteste, surtout quand c’est du cœur de bœuf, pouah quelle horreur.

J’arrive devant l’immeuble, il n’y avait pas de code à cette époque là, même dans cette belle résidence toute neuve. Je rentre dans l’ascenseur, 5ème étage, celui agrémenté d’une belle terrasse tournante. Je suis sur le palier, je m’apprête à rentrer dans l’appartement spacieux encombré d’armoires imposantes comme plus personne n’en veut désormais. Je sens une odeur, je ne la reconnais pas tout de suite. Une odeur de mijoté qui me déçoit mais déclenche pourtant une petite pointe d’excitation. J’ai trouvé, c’est un pot-au-feu ! Je déteste la viande du pot-au-feu. C’est dur, c’est gélatineux, c’est filandreux, ça se coince entre les dents. Mais en revanche, quel délice, l’os à moelle ! Son précieux contenu à partager en 5 parts bien égales, une pour chacune, ma grand-mère, ma mère, mes sœurs et moi. C’est très très chiche un os à moelle, presque radin, beaucoup d’os, très peu de moelle. Mais c’est tellement bon ! Si peu de moelle pour tant d’amatrices réjouies. Pas question d’iniquité. C’est à peine si nous ne sortirions pas la petite balance de cuisine pour contrôler la stricte égalité des parts. Pour chacune de nous, une toute petite bouchée de cette moelle brûlante étalée sur une fine tartine de baguette grillée et saupoudrée de gros sel. Vite, vite, elle doit être bien chaude pour révéler toute la puissance de sa saveur délicate.

Et c’est déjà fini.

Maintenant commence le cauchemar. Manger cette viande coriace et visqueuse qui me donne des haut-le-cœur. Avaler sans respirer ces carottes cuites, douceâtres et écœurantes, sans presque les mâcher, et devoir en manger beaucoup trop parce que les carottes ça donne bon caractère. N’importe quoi. S’ébouillanter en avalant le bouillon trop gras qui reste sur l’estomac. Heureusement, il y a les poireaux, je me régale toujours avec les poireaux, mais je ne comprends pas, il y en a toujours trop peu. Mais celle moelle, combien de fois je me suis réjouis de cet horrible pot-au-feu, uniquement grâce à cette petite bouchée de bonheur qui m’explosait dans la bouche.  Mais il n’y avait pas que l’os à moelle. Nous savions, mes sœurs et moi, que le lendemain du pot-au-feu, ce serait la fête. Nous trouverions des assiettes à soupe pour le bouillon, dégraissé cette fois, avec ce vermicelle ou des pâtes-lettre et sur le rebord de la jolie assiette nous composerions des mots à l’infini. Et ensuite, le pâté de viande. Tous les restes de légumes et de viande hachés et enfermés dans une pâte à tarte, dessous dessus.

Cette pâte à tarte ! 50 ans ou presque plus tard toute la famille cherche encore le tour de main qui n’appartenait qu’à elle et produisait la plus croustillante et feuilletée des pâtes à tarte. Et le tout en quelques minutes. Malgré nos suppliques incessantes, elle n’a jamais su nous partager sa recette, elle est partie avec son secret. Je crois en définitive, qu’elle ne le connaissait pas elle-même.

A force de chercher, ma mère a fini par trouver : remplacer le beurre qui a pris toute place dans nos recettes du XXIème siècle par de la margarine, reine des frigos d’après-guerre. La margarine la moins chère surtout et aller le plus vite possible, en mélangeant la farine, le sel, l’eau (chaude, sacrilège !) et la matière grasse. Etaler, fourrer, et enfourner.

Aujourd’hui, quel plaisir au fil des années de voir les mêmes grimaces chez mes enfants devant un pot-au-feu fumant, leurs yeux roulant de plaisir face à la tartine de moelle, le déjeuner du lendemain qui s’éternise autour des phrases en pâtes-lettre et les bouches gourmandes savourant le fameux pâté de viande. Avec une pâte à tarte toujours faite maison. Tradition oblige. J’ai juste changer la qualité de la viande et augmenter la quantité de poireaux. J’espère que ma grand-mère me le pardonne.

Une proposition de Kikka, janvier 2024 – Raconter un plat d’hiver réconfortant

2 commentaires sur “Comment une madeleine devint un pot-au-feu

  1. Du coeur de boeuf? Elle m’a toujours epargné ca! Mais j’aimais bien le pot au feu… sans poireau a l’époque!

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    1. C’était peut-être du cœur de veau mais ça ne change pas le fait que c’était absolument horrible à avaler !!! 😂

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